T'as vu comment la presse féminine te parle?
"Amie boudin, moche ou ratée, couverte de peau d’orange et de vergetures, difforme de la cuisse ou du sein, bonjour ! Je suis ta meilleure ennemie, celle qui te veut tout le mal du monde, je suis la presse féminine ! Et je vais non seulement te déprimer, mais aussi te mettre dans un état de dépendance psychologique étonnant.
Et, attention ! Cet article s'adresse aussi aux hommes. Il faut qu'ils sachent tout le mal que je fais aux femmes qu'ils aiment!
Exceptionnellement, je te révèle mes secrets les mieux gardés aujourd’hui.
Je suppose que tu as remarqué que je fonctionne de manière saisonnière. Par exemple, en août, je te parle de la rentrée, des bonnes résolutions, du sport ; en décembre, des bons petits plats, de la confection d’une ambiance chaleureuse, des tenues qui te masquent… Et en juin-juillet, je te parle des vacances. Et à cette période, je me lâche ! Je n’épargne rien pour te faire souffrir.
Je vais te torturer par exemple dans Cosmopolitan en te faisant comprendre qu’en fait, la "beauté " de la femme, ta beauté, ne peut provenir que de l'argent que tu dépenses. Au naturel, vous êtes toutes des boudins. Il y avait déjà « se faire une beauté » et « il faut souffrir pour être belle », ce que je t’impose ici c'est de « t'acheter une beauté ». Tu vois dans quel marécage je te plonge ?
Pour y parvenir, je vais te présenter un article sur le thème « comment être au top en bikini ». Le ton général est bienveillant, un peu grande sœur protectrice, rien de grave. Fais un peu attention à ce que tu manges. Bouge un peu. Porte des vêtements qui te mettent en valeur... On se dit, ok. Ça ne va pas me rendre malheureuse et acheteuse compulsive...
Sauf que si. Voici la bombe à dépression.
Sur la plage du Cosmo, y a une fausse fille. Un truc tout maigre et bien en chair à la fois, une anorexique sans squelette, une aberration photoshopée…Et toi, et toutes les lectrices, vous êtes fichues, perdues dans des abîmes de complexes. C'est gros quand-même, me diras-tu ! Mais plus c’est gros, mieux ça marche (ça, c’est le ministre de la propagande de Hitler qui le disait) … Souviens-toi que, dans tes magazines, il n’y a aucune fille comme toi, aucune femme réelle. Et quand, waouw, par chance tu tombes sur une photo qui semble réelle, au-dessus tu trouves un commentaire qui t’explique que la meuf là, elle a bien du courage de s’exposer ainsi ! Alors toi tu collectionnes les images des fausses filles et quand tu te vois dans la glace, ben… T’as honte !
Mais ce n’est pas tout ! Tu pourrais encore assez aisément prendre conscience de cette première manipulation… Alors, j’en ajoute une autre : je t’invite à jouir sans cesse dans et par ton corps COMME S’IL était parfait, comme si tu ressemblais aux fausses filles des publicités ! Et pendant que tu lis, pour un instant, tu crois que c’est vrai. Et tu te délectes à lire le compte-rendu de dîners fins pris en terrasse, de cocktails dégustés dans des caves moites et branchées.
Je vais plus loin encore ! Je te pousse à la nudité, au dévoilement. Je t’abreuve en été de techniques de drague, de sexe, de séduction, d’hygiène intime, etc. Je te pousse à vivre pleinement l’ivresse de l’étreinte. Mais voilà qui est bien, me diras-tu. Voilà qui libère. Hahaha. Naïve ! Regarde les illustrations du dossier spécial été intitulé « 10 positions du KAMASUTRA pour la plage » … Tu ne remarques rien ? Et bien oui, les corps qu’on y découvre sont les mêmes faux corps parfaits qui te complexent à mort.
Et te voilà coincée au cœur d’un paradoxe : tu es sommée de jouir dans un corps que tu détestes ! Tu es à ma merci. Pour t’asséner le coup de grâce, je vais à présent te soumettre à l’autorité patriarcale. Comment ? Simple. Regarde cet extrait d’un article de Elle.
« Pas d’exposition sans protection. Et pas de discussion ! Les « Beurk, ça colle ! », « Mais ça masque mon bronzage » ou « Et en plus ça pue » ne sont plus des excuses valables. Aujourd’hui, la texture et le parfum des produits solaires sont plus addictifs les uns que les autres. On rêverait presque de pouvoir s’en tartiner le corps toute l’année ! »
Rien ne te frappe ? Non ? Tu es tellement habituée à mes tours de cochon que tu ne les vois même plus ? Bon, je t’aide, le ton ! Tu ne remarques pas que mes « conseils » sont en fait des ordres stricts ? Je te parle en occupant la place du père. Le procédé vise à te plonger dans la dépendance à l’autorité, à entretenir chez toi le sentiment que tu es incapable de décider, même pour toi. Et je rajoute un petit soupçon de culpabilité aussi (ben oui je suis déjà allé à la plage sans crème... je suis conne, te dis-tu).
En d’autres mots, je réactive pour toi l'idée patriarcale forte de la mise sous tutelle permanente de la femme, mineure à vie.
Et, si jamais l’autorité du père te laissait froide, je joue aussi avec celle du conjoint !
Va un peu mettre ton nez sous l’onglet SEXE de Elle.be ! Que constates-tu ? TOUTES les illustrations sont hétéronormées ! WTF! Eh oui, pour moi, la seule sexualité qui te convienne, ce sont les garçons. Je multiplie les articles qui concernent la manière d'aborder un homme et de réaliser ses fantasmes. Mais je n’en publie AUCUN qui concerne ton désir ou tes fantasmes ! Forcément ma (pas trop) belle : tu ne comptes pas.
Par ailleurs, pour parler des hommes avec qui tu fais le sexe, je vais employer le mot "mec", comme dans ce titre : « 10 ASTUCES POUR SE DÉSHABILLER AVEC SENSUALITÉ DEVANT SON MEC. »
"Son mec", ce n'est pas anodin. Un mec à la base, c'est un mac, un proxénète. Un type qui te domine absolument dans le domaine sexuel. Et il reste encore des traces de ça aujourd’hui dans le mot "mec". Il s'agit donc de te mettre au service d'un homme qui est presque ton propriétaire et faire en sorte d'exciter son désir. De nouveau, je t’enferme dans le rapport de domination masculine !
Mais alors, tu vas me demander pourquoi je fais tout ça, est-ce par haine ? Non, c’est pire !
Je fais tout ça pour que tu dépenses des fortunes en habits et en cosmétiques ou en chirurgie plastique ou en médicaments et en épilation, en heures de solarium et en tout ce qui pourrait te faire oublier ou couvrir ta soi-disant indignité.
Je fais tout ça pour que tu sois bien contente d’avoir trouvé une personne qui veut bien de toi et qui t’aime un peu ou qui t’a aimée un temps et que tu te contentes de cette personne jusqu’à la dépression qui te poussera à dépenser encore plus de sous.
Je fais tout ça pour te couper de l’Amour et du Sexe qui sont des forces révolutionnaires, pour te priver d’orgasmes et de rencontres, pour que tu renonces à la fantaisie et au partage. Pour t’enfermer chez toi et en toi, pour que tu communiques le moins possible.
Je fais tout ça pour t’obliger à accepter ton rôle et statut, tes obligations de merde. Tu es une femme ? Tu n’es pas assez belle ? Tu ne t’aimes pas beaucoup ? Deviens mère ! Réalise-toi gratuitement dans la servitude conjugale. Elève et entretiens tes enfants à la place de l’Etat qui fait ainsi de grosses économies qu’il donne aux banques. Tu es un homme ? Tu ne t’aimes pas des masses ? Deviens père de famille ! Exerce un pouvoir merdeux sur tes proches, domine et réprime à la maison pour être mieux soumis dans ton milieu professionnel. Oubliez surtout, mes amis hommes et femmes, oubliez jusqu’au goût de la liberté, de la joie et de l’amour !
Et c’est ainsi que je fais de toi une esclave qui travaille dans la peur que ton indignité soit révélée et de perdre ton emploi, une esclave qui paye pour porter sur le torse le nom de marques qui violent ouvertement les droits humains, une esclave qui se ruine en dépenses inutiles, toujours à la recherche de nouveaux coussins à mettre entre la vacuité de ta vie et la conscience que tu pourrais en avoir.
Alors, moi, la presse féminine, moi qui suis la propriété des hommes les plus riches du monde, quand je te vois rentrer de la plage et poster des textes déprimants sur Facebook, assortis de photos de salles de fitness ou de jus de légumes insipides, je me marre !"
Hé copine, comment elle nous parle, cette presse "féminine"?! Mais ça va pas non? Alors, à partir de maintenant, pour moi, c'est FINI. Pour me détendre, je vais lire des trucs sympas, et pas ton blabla culpabilisant (parce que pour ça, j'ai déjà ma mère). Sur instagram, je vais virer les comptes des meufs photoshopées #jenexistepasenvrai et suivre de vraies femmes (aerie, any.body_co, 1001fesses, ...)
Sur la plage, je vais me saper comme je veux et arrêter de jauger les autres femmes. Je vais plutôt mater les messieurs tiens, c'est meilleur pour mon moral et ma libido. Au resto, je vais prendre un dessert. Et même 2, parce que j'ai toujours du mal à choisir. Maintenant, je vais faire ce qui me fait plaisir, parce que mon but est de me plaire à MOI.
Hé copine, tu fais ça avec moi?
Al & Xa