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Cantat, Gauguin et mon voisin. Chronique du féminicide ordinaire.


Parfois, comme vous sans doute, nous sommes frappés par la violence. Et pire encore, la violence contre l’amour. Contre la beauté. Contre l’enfance. Contre les femmes. Et nous supportons de moins en moins de voir ces monstres violents adulés par la presse et les foules, de voir des personnes, connues ou non, voler à leur secours, prendre leur défense (« oui mais quand même, les pauvres, tout le monde les critique alors que, tu comprends, c’est pas vraiment leur faute, c’est des artistes/âmes sensibles/dépressifs/victimes de l’alcool/… »… excusez-nous, on vomit et on revient !).

Bertrand Cantat est un grand artiste. Il a écrit et interprété quelques-unes des plus belles chansons de ces trente dernières années. Bertrand Cantat est un monstre. Il a assassiné sa maîtresse à coups de poing parce qu’elle voyait encore son ex (« Quelle salope quand-même, voir et parler au père de ses enfants »). Bertrand Cantat l’a laissé agoniser toute la nuit dans sa chambre d’hôtel.

La justice est un monstre. La justice a trouvé des circonstances atténuantes à Bertrand Cantat. Elle a appelé son geste un crime passionnel (et donc, définition : inspiré par la passion amoureuse). Comme si l’amour était naturellement violent. Genre, qui aime bien châtie bien. Logique. Prochaine fois que je vois une amie, je vais lui retourner une tarte, pour bien lui montrer comme je l’aime tiens ! Comme si l’amour excusait la violence. Comme si l’homme qui aime était en droit de frapper à mort.

Cantat a été condamné à 8 ans de prison. Il est sorti au bout de la moitié. Depuis, il traîne sa petite gueule de repenti monstrueux dans la presse. Il ose l’ouvrir pour nous appeler à plus de justice (Allô quoi ! T’es un tueur et tu prône la justice. Mais allô quoi !). Il ose parler d’amour. Rien que pour ça, Bertrand Cantat devrait retourner en prison. Cantat a tué sa maîtresse. Lorsqu’il sortit de prison et retrouva son épouse, celle-ci se suicida. Ces deux morts ne lui donnent pas le droit de parler, mais celui de se taire.

Paul Gauguin était un grand artiste. Il a peint plusieurs des chefs-d’œuvre absolus de la fin du 19ème siècle. Paul Gauguin était un monstre. Lors de son séjour en Polynésie, il a « épousé » une petite fille de treize ans (pour bien visualiser, 13 ans, c’est l’entrée en secondaire). Lui, il en avait 43. Il a entretenu des relations sexuelles avec plusieurs autres (beaucoup plus âgées note, genre 14 et même 15 ans). Ces relations étaient profondément choquantes, même à l’époque. Plusieurs de ses amis lui avaient dit leur colère. Paul Gauguin était atteint de syphilis. Il a largement partagé sa maladie sur Tahiti, maladie qu’on soignait difficilement à l’époque, et qui pouvait s’avérer mortelle.

Aujourd’hui, un film qui parle de Paul Gauguin est sorti dans les salles. Il passe sous silence cette monstruosité. Lorsqu’on demande à Vincent Cassel, qui interprète Gauguin, ce qu’il en pense, la réponse fait peur : « peut-être que 13 ans à l’époque, ce n’est pas comme 13 ans aujourd’hui. » (et une main dans la figure à l’époque, tu veux voir si ça faisait moins mal ?). Il ne condamne pas. Il tempère, relativise. Vincent Cassel se range aux côtés de Paul Gauguin. Le grand artiste. Le monstre.

Tout ce film nous dit que la violence faite aux filles n’est pas si grave. Surtout si elle a lieu dans les colonies. Surtout si ses victimes viennent des peuples colorés du Pacifique qui aimaient tant l’amour. Tout ce film nous dit que l’homme blanc, ce « grand génie », a en définitive tous les droits de répandre la misère, le viol, la maladie. Les auteurs de ce film méritent la prison.

Puis, il y a les dizaines de cas de viols et de harcèlement dont s’est rendu coupable Harvey Weinstein et que vous avez tous vus dans la presse. Mais nous avons vu plusieurs personnes le défendre, disant que les femmes sont provocantes, sexy (ce sont des actrices, en général, si elles ne le sont pas, on ne les engage pas… ce qui est sans doute regrettable d’ailleurs), font les naïves mais savent très bien à quoi s’attendre -parce que c’est vrai que si tu SAIS que tu vas être abusée, c’est tout de suite moins grave tu vois).

Et les hommes tuent aussi tout près. Ici, à Liège, dans notre belle ville (oui, c’est une belle ville)! Cette semaine, un voisin de Xa a tué une jeune voisine, Louise. Il l’a étranglée et poignardée. L’homme est un violeur multirécidiviste. Louise avait signalé à la police sont comportement agressif… Mais il a fallu qu’on laisse faire. Qu’on aille jusqu’au bout. Jusqu’à l’assassinat. Protéger les filles n’est pas une priorité.

L’autre semaine, c’était un père de famille qui assassinait ses enfants. Il ne supportait pas la séparation de son couple. Alors il a tué. POURQUOI ??? Une femme est-elle déjà revenue auprès de son compagnon après avoir été assassinée? (Je sais, c’est douteux comme question). Mieux vaut la savoir morte que pas avec moi ? OUI ! Parce que, dans la tête des hommes, on a mis depuis longtemps l’idée que leur femme et leurs enfants sont « à eux ». Qu’ils les « possèdent ».

Si une femme tue son conjoint, on la dépeint en monstre froid, pleine de machiavélisme et de préméditation. Une sorcière. Une salope. Si un homme tue sa femme, on le présente en victime ! La vilaine le trompait. Elle voulait le quitter. Une sorcière. Une salope. Il s’est contenté de « protéger son bien ». Nous en sommes malades ! Si nous vous avons, nous aussi, raconté tout ça, c’est parce que toutes ces histoires ont un point commun qui crie comme un furoncle au bout du nez : l’attitude possessive ou prédatrice de la plupart des hommes vis-à-vis des femmes en général. L’inverse est vrai aussi, malheureusement. Mais les réactions à la dépossession sont bien différentes dans le chef des femmes.

Car, depuis tout petit, on enseigne aux garçons qu’ils sont forts. Que c’est leur qualité principale. Avec leur « force », ils vont donc « prendre ». « Prendre possession », « prendre femme », « prendre une femme »… Aux petites filles, on apprend qu’elles seront « prises », qu’elles doivent attirer, que si elles font des efforts le chevalier va venir et qu’il les « prendra » sur son cheval. Et qu’il est trèèèès gentil, et qu’il faudra se laisser faire. Qu’il faudra même y trouver du plaisir lorsque le soir venu, le chevalier va les « prendre » au coin du feu (comme c’est romantique).

Toutes ces histoires de possession, de possessivité et de prédation rentrent dans l’esprit des enfants d’autant plus aisément qu’elles n’ont que très peu de contrepoison. Plus de 80% des livres pour enfants soit ne comportent QUE des personnages masculins, soit les personnages féminins sont muets, soit les femmes parlent un peu mais ne disent que des mots convenus qui ne font pas avancer l’histoire. Comment mieux faire comprendre aux enfants que dans les histoires et dans la vie, c’est l’homme qui agit, qui prend, qui enlève, qui décide, qui aime, qui demande en mariage (ou pas, au grand désespoir de certaines, incapables de se faire posséder), qui choisit, qui prend l’initiative, etc. Il n’est pas nécessaire, je suppose, de vous expliquer qu’au cinéma il en va de même et qu’à quelques rares exceptions près, mêmes les héroïnes dépendent directement d’un homme à qui elles doivent demander et rendre des comptes.

Comment s’étonner dès lors qu’une fois devenus grands tous ces charmants bambins continuent de jouer dans le grand Walt Disney de la vie ? Même le plus indécis et le plus mou des hommes va se sentir tout mec lors du sexe, il va se sentir grandi de « prendre » une meuf ! Il se voit vélociraptor au minimum. Et ce, même si c’est la dame auprès de qui il ahane qui fit œuvre de séduction. Le voilà tout faraud et vainqueur, chevalier au heaume étincelant. Il pourra même se vanter de ses performances auprès des autres mâles, donnant naissance à des sites nauséabonds où les hommes postent des photos de leur conquêtes (même racine que « conquérant », t’as vu ?) prises à leur insu et commentées de façon majoritairement humiliante.

Du côté de la femme, le graal est de se faire épouser, lui passer la corde au cou (aaah, le romantisme), afin de l’avoir à soi une bonne foi pour toute. Ils se PRENNENT pour époux. Chasse gardée ! Mais avec la peur au ventre quand même chaque fois qu’une nouvelle collègue un peu jolie entre dans le périmètre de sécurité.

Et dans la suite, la relation entre eux bien souvent va se détendre, prendre du mou, l’amour va faiblir, MAIS il restera quoi qu’il arrive cette conviction forte : ma meuf/mon mec est à moi ! Partant si sa vie l’emmène un jour vers d’autres rivages, pour une passion torride, une amitié intense ou une simple rencontre d’un soir, ouille ouille, au voleur, à l’assassin, intolérable, on se sent tout volé.

C’est là alors que les différences d’éducation garçon-fille vont prendre toute leur importance. La femme va pleurer. Beaucoup. L’homme va laver son honneur (non mais le looser quoi, sa femme le quitte). Cette sensation de propriété usurpée pourra le conduire au meurtre. Les chiffres sont accablants : 83% de ce que l’on appelait avant « crime passionnel » et que l’on a rebaptisé « drame de la séparation » consiste en l’assassinat ou le meurtre du conjoint féminin par l’homme. 15 autres % représentent les hommes qui sont tués par leur conjointes en état de légitime défense : des femmes battues qui se défendent… Des salopes. Elles n’avaient qu’à partir au lieu de tuer (sauf qu’alors, elles se font tuer, tu te souviens ?). Et il reste donc 2 tout petits pourcents de femmes qui tuent leur conjoint masculin sans avoir été agressées d’abord ! 2%. Contre 83%.... Relis-le.

Le sexisme tue. L’éducation genrée tue. La littérature enfantine tue.

Alors on fait quoi ? On sort de l’idée que l’autre est un trophée, une conquête. On sort de l’idée que la femme sera flattée si un homme fait tout pour la garder (y compris être violent). Genre, c’est la preuve que tu es belle ! OOOh merci, merci, fallait pas ! On sort de l’idée que l’autre nous APPARTIENT, même si ça fait longtemps, même si on est marié, même si on a des enfants. L’autre reste une PERSONNE. Cette personne peut décider de rester… ou pas. Chaque jour. C’est à toi de faire en sorte qu’elle en ait ENVIE, ce n’est pas un dû. Jamais. Et si elle part, c’est douloureux, triste, déchirant, mais elle en a le droit (reste la manière bien sûr, mais RIEN ne cautionne le crime).

On fait ça MAINTENANT ! Tout de suite. Et on le dit à nos enfants. Et on se le met bien dans le crâne. Et puis c’est tellement, mais tellement plus valorisant de savoir que l’autre est à tes côtés par envie, et non par sens du devoir normatif, par peur d’être jugé, par esprit de propriété ou par peur ! T’imagines ? C’est juste pour TOI. Cadeau !

Al & Xa

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