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Sois belle et consomme!


Nous sommes en 2008. C'est la crise économique. C'est galère pour tout le monde. Tous les secteurs en souffrent. Tous? Non. Un secteur résiste encore et toujours à la crise. Il finit même l’année avec un bonus confortable! Mais lequel? Comment? Roulement de tambours… C’est le commerce de la mode et de la beauté! Tadaaam! Et oui, parce que pour la plupart des femmes et des jeunes filles, l’utilisation de cosmétiques, de teintures, les achats de vêtements, accessoires et chaussures relèvent de l’évidence, que dis-je, de la survie existentielle! Dans bien des cas, ce besoin est si prégnant que l’on préférera se priver de nourriture de qualité ou de vacances, plutôt que de renoncer à ces produits (produits plaisirs s'il en est, nous dit-on). Parce que se faire “belle”, c'est le must du must côté plaisir, non?

Alors, tu nous connais, on a voulu en savoir plus, chercher d’où tout ça vient, renifler jusqu’à la source et, éventuellement, s’il y en a, pincer les coupables...

Cette pub pour le bijoutier Mauboussin date de 1917. Elle a été affiché dans le métro parisien... Ah pardon. On me dit dans l'oreillette que c'est 2017. Alors, toi, femme, tu préfères quoi pour ta journée : séduire ou paraître ?

En fait, toute cette frénésie publicitaire autour de la beauté a commencé dès les années 1950. A l’époque, les marques découvrent un filon qui ne s’épuisera jamais, malgré les conquêtes féministes : la MÉNAGÈRE. Les publicitaires s’avisent qu’en fait la pauvre se sent triste, désœuvrée, (enfin, après avoir fini les corvées hein, faut pas déconner), généralement inférieure à son mari (mais qui donc aurait pu lui mettre ces idées folles en tête?), en bref, la ménagère se fait chier. Mais pourquoi ça, me direz-vous ? Qu’y a-t-il de différent dans les années 50 et qui déprime les femmes au foyer ? Et bien, la différence, c’est l’ordre de mission. Jusque-là, être ménagère, c’était avoir un travail temps plein reconnu comme tel : vous deviez équiper le ménage ! Et quand on dit équiper, on parle de fabriquer matériellement les choses avec ses petites mimines. Sans vous, non seulement pas de tâches domestiques, mais pas non plus de linge, de vêtements, de denrées alimentaires, … Ah ben oui, ça fait tout de suite moins folichon à la maison… Chaque femme était dès lors une artisane. Wouah!

Mais après la guerre, on a remplacé toutes ces tâches par des achats. C'est trop trop bien. Le pouvoir d’achat augmente, on crée les grandes surfaces et les femmes sont invitées à sortir au magasin pour équiper la maison, au lieu de confectionner elles-mêmes les biens de la famille. Chaque femme devient l'acheteuse familiale. Alors, les publicitaires vont se jeter sur ces femmes comme la misère sur le monde. Comme elles subissent un déficit en terme d’image de soi, on va les choyer, les chouchouter, leur glisser dans le crâne des équivalences perfides qui courent encore aujourd’hui, du genre « acheter c’est la liberté », « dépenser pour vivre », « s’équiper en électroménager dernier cri, c’est être l’égal de l’homme »… Bref, acheter, c'est que du plaisir!

Et, bien entendu, ça va marcher (avoue, tu le ressens ce plaisir quand tu fais chauffer la carte bleue). On construit les premiers centres commerciaux, on y attire les femmes. C’est leur univers, c’est là l’endroit où l’on prend soin d’elles. Tellement soin, qu’on va même veiller à leur beauté. Les produits cosmétiques, qui jusque-là étaient fabriqués de façon artisanale ou achetés à prix d’or à des négociants spécialistes par les dames de la haute, se démocratisent, on les vend dans les premières grandes surfaces. Bien des femmes se laissent tenter. Tout à coup, le luxe est à leur portée. Plaisir ! Bonheur !

Les années passent. Entre 1960 et 1980, la deuxième vague féministe va obtenir un ensemble de droits fondamentaux pour les femmes, notamment l’autonomie financière (avoir son propre compte en banque, le rêve!), le droit de travailler sans en référer à un père ou un mari (ooh merci, merci!), le droit de gérer sa fécondité (la pilule, ce graal tombé du ciel… ou des laboratoires pharmaceutiques, c'est pareil). Les femmes avaient gagné là des libertés telles qu’elles risquaient de saper les bases-mêmes du patriarcat. Si elles étaient libres d’un côté, il fallait d’urgence les enchaîner d’un autre. En plus, elles avaient d'un coup de l’argent à elles (ben oui, travail + compte en banque = ARGENT). C’est donc dans les années 80 que le secteur de la mode-beauté va s’en prendre à elles de façon terriblement agressive en installant ce que nous appellerons la « tyrannie de la beauté » !

L’idée de base est de déstabiliser les femmes. De les priver de l’autonomie légale qu’elles ont obtenue en les privant de leur confiance en soi (tellement ancrée, tu sais bien) et de leur autonomie psychologique : elles dépendent de fards, d’odeurs, de teintures, d’habits. C'est LA condition pour exister, pour sortir de la transparence. Bien entendu, toutes ces campagnes de lavage de cerveau n’ont jamais fait que se renforcer au fil du temps. Aujourd’hui, ces hommes, quelques ultra-riches, détiennent les grandes marques de prêt à porter, les grands couturiers, les cosmétiques, la presse quotidienne, les médias, les magazines féminins et de décoration, les principales agences de publicité et… les maisons de production de films ou de séries ! Oui oui, les mêmes personnes ont la possibilité de créer un nouveau rouge à lèvre de luxe, d’en lancer la mode via la publicité, de vous faire mourir d’envie de l’acheter en vous montrant vos stars favorites qui le portent dans leurs films, de vous le dire dans la presse et à la télé et de vous le vendre dans leur chaîne de magasin ! Le tout en n’utilisant QUE des sociétés qu’ils dirigent eux-mêmes. Pratique, non ? Et, bien entendu, ça marche.

Bon ok. Mais on fait quoi? On sort de chez nous livides, le cheveu hirsute et l’œil fatigué? J'ai envie de dire: oui, si on a envie! Mais la boucle et bien bouclée évidemment. On est bien empêtrées. Parce qu'aujourd’hui, la femme associe le fait de se maquiller et de se coiffer, non seulement à une corvée mais aussi au plaisir, au temps pris pour soi. Et nous, ce qu'on revendique, ce n'est pas tomber dans l'obligation inverse : ne surtout jamais se maquiller et jamais se coiffer. Ce qu'on revendique, c'est le CHOIX. Le choix de ne pas se maquiller certains jours. Sans devoir pour autant se justifier. Sans se trouver moche. Le choix aussi, de pouvoir se maquiller certains jours un peu plus que d'autres. Mais ce choix, avouons-le, il va être difficile à gagner. La route est longue. Mais ne cesse pas de marcher amie, car celui qui chemine lentement arrive toujours avant celui qui ne s'est pas mis en marche.

Al & Xa

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