Tu t'es vu quand tabou? Court traité sur le qu'en dira-t-on.
Une abonnée de la page -qui est aussi une amie- a récemment attiré notre attention sur le lien entre sexualité alternative et tabou. Elle nous disait par exemple la difficulté qu’il y a à parler de l’échangisme. Immédiatement, Fais pas Genre a décidé d’approfondir le phénomène et de faire le point sur la situation.
Notre première constatation a été que le tabou frappe bien plus large que les sexualités non normées. Sitôt que tu en parles, que tu scrutes les forums du net, tu constates qu’un nombre significatif de gens vivent le sexe lui-même, y compris le plus conventionnel, comme un tabou. Beaucoup en souffrent. Si tu vas plus loin encore, tu t’aperçois que même la nudité est souvent perçue comme tabou (il suffit pour s’en rendre compte de voir le scandale bien inutile que provoque encore souvent le fait d’allaiter en public !).
Un premier schéma explicatif, plutôt marxiste, consiste à dire que ces tabous de la nudité et de la sexualité viennent globalement de l’époque victorienne en Angleterre, soit de la Révolution Industrielle. Le pouvoir les aurait amenés progressivement dans l’esprit des populations, notamment via les églises et les écoles, afin de maintenir l’élan sexuel dans la chambre conjugale, qu’il se limite à la nécessité de la reproduction, et que toute l’attention et toute l’énergie des travailleurs soient exclusivement tournées vers leurs activités professionnelles.
L’hypothèse est tentante. Et sans doute partiellement vraie. Mais pas totalement.
Parallèlement à cette gêne face à la nudité et au sexe que les gens nomment volontiers tabou, les sociétés modernes de ces deux derniers siècles ont développé une abondance rare de discours sur le sexe. Notre société est la première dans l’histoire des hommes où parler de sexe et écouter des récits d’expériences sexuelles est un métier rémunéré (on pense aux sexologues, pas au téléphone rose, bande de pervers !)…
Le pouvoir, le même qui tâche de maintenir la sexualité dans le cadre de l’hétérosexualité normée monogame, investit des fortunes dans la recherche sur cette même sexualité. Aucune autre époque n’a vu autant de chercheurs et de scientifiques de tous poils se pencher sur nos fesses et nos sexes !
Et, en fait, ce mélange d’obsession et de crainte, de silence et de bavardage, d’étude et de rejet, correspond en tout point à la définition-même de ce qu’est un tabou ! Un tabou en effet, dans les sociétés polynésiennes, était un objet sacré, adoré, mais craint et qu’il ne fallait en aucun cas toucher sous peine de devenir soi-même tabou.
Il y a dans la sidération que la nudité et le sexe exercent, dans l’injonction paradoxale de se montrer et se cacher, de raconter ce qu’il faut taire, quelque chose, définitivement, de TABOU.
Balade au pays des tabous.
Nous avons recensé pour toi un certain nombre de tabous tellement courants que la plupart d’entre nous ne les remarquent pas.
La nudité est toujours considérée comme choquante ou déplacée dans notre société qui, par ailleurs, la surexploite dans le domaine commercial. Il suffit qu’un film ou un jeu vidéo montre un plan comportant un nu facial (d’autant plus s’il s’agit d’un nu masculin) pour qu’aussitôt les organes de censure le classe interdit aux moins de 18 ans. A contrario, un film comportant des scènes de violence sera en général interdit aux moins de 12 ou de 16 ans. L’équivalent de la nudité faciale masculine dans le registre de la violence, ce sera… une scène de torture explicite !
Gros titre des journaux du groupe Sud Presse ce 14 août : « Sexualité : dans quelle province fait-on le plus le sexe ? » Question quantité, pas de tabou : on peut en parler franco ! Et on peut même être très fier si on fait beaucoup l’amour… Par contre, quand il s’agit de parler de façon qualitative, d’expliquer, comme nous le faisons sur ce site, quels sont les mécanismes de certains organes sexuels, comment donner et recevoir du plaisir, shut up ! Immédiatement, les condamnations tombent : c’est obscène, pornographique, complètement déplacé. Tu peux donc le faire beaucoup, vite et mal et en parler : tu seras un étalon (sauf si tu es une fille, EVIDEMMENT ! Là, tu prends des risques). Par contre, va expliquer tes envies d’explorer, tes pratiques un peu olé-olé mais jouissives, sois enthousiaste sur tes découvertes et tente de les partager. Aussitôt, tu es taxé de satyre hyper actif voulant dévoyer notre belle jeunesse. Jeunesse qui par ailleurs, en manque de ce genre d’information, va se documenter sur les chaînes de streaming porno bas de gamme.
Enfin, last but not least, l’orientation sexuelle est encore frappée d’interdit sitôt qu’elle dévie de la sacro-sainte hétéronormativité. Dans bon nombre de milieux professionnels et familiaux, affirmer son orientation sexuelle « divergente » relève de l’aveu. Dès lors, quand tu en parleras (parce que bien sûr tu DEVRAS en parler, comme il faut parler de tous les trucs « pas normaux ».), tu auras pour mission de convaincre ton vis-à-vis qu’il ne risque rien, que ton orientation n’est ni contagieuse ni léthale, qu’il n’y a aucun danger de mort imminente dans d’atroces souffrances. En outre, il reste des milieux professionnels où il te sera demandé de rester discret : « c’est le minimum tout de même ! »
Et vous, c’est quoi les situations qui vous gênent ? Non, non, ne mentez pas, on vous a vu cliquer tous azimuts sur nos articles sans oser les liker 😉. Ça vous choque quand quelqu’un montre sa peau (ou pas) ? Ça vous débecte quand on parle d’intimité sexuelle devant vous (ou pas) ? Et pourquoi finalement ? Ça ne se fait pas ? Vraiment ?
Al & Xa