120 Battements par minute, grand maximum
Des fois, Al & Xa vont au cinéma… Surtout si le film aborde une de leurs thématiques. L’autre soir, on a invité So, la sœur d’Al, et on est allé regarder 120 battements par minute. Et comme Fais pas Genre n’est pas contre un article culture par ci par là, on s’est dit qu’on allait vous en parler, de ce film.
So, Al et Xa n’ont pas le même âge. En gros, Xa est né à la même époque que les personnages du film (qui ont un peu plus de 20 ans au début des années 90, époque où se situe le film), Al était jeune ado lors des événements décrits et So, elle, est née juste après… Alors, on a décidé de croiser nos points-de-vue dans une critique polyphonique et quasi transgénérationnelle.
D’abord, l’histoire. Le protagoniste de 120 btm s’appelle Sean. Il est gay, sidéen et militant très engagé d’Act Up ! Le film nous montre parallèlement la mâchoire du SIDA qui lentement broie Sean et les débats et actions d’Act Up-Paris.
Nos émotions à la sortie du film ont été très différentes. Xa et So étaient assez émus. Xa parce qu’il avait en quelque sorte revu des potes depuis longtemps décédés, des gens de son âge et d’un milieu qu’il avait bien fréquenté. So, à l’inverse, parce qu’elle n’avait jamais rien su de tout cela, qu’on ne lui avait pas expliqué ou raconté le traumatisme des premières vagues du SIDA… Al, elle, était plus détachée : elle avait su, sans avoir vécu, et passait dès lors à côté de la nostalgie comme de la révolte.
120 btm tient un propos politique particulièrement intéressant. Le méchant du film, ce n’est pas la maladie (elle est même mise en scène de façon poétique au sein d’interludes montrant des molécules attaquées par le virus HIV), mais les puissants. Les politiques d’abord, et à leur tête le président Mitterrand, pour avoir permis l’incroyable scandale du sang contaminé. Le monde politique est représenté en creux dans le film, leurs élites ne sont guère présentes que sous forme de noms sur des affiches ou dans une discussion. Ils sont une sorte de divinité lointaine, absente et meurtrière par son inertie. Les lobbys et les grandes entreprises du monde de la santé ensuite. Nous comprenons à regarder le film à quel point tous ces puissants n’ont à cœur que le pouvoir et l’argent et combien ils sont indifférents à la misère et à la douleur des malades en général et des sidéens en particulier. Mais ils ne sont pas les seuls. Les gens autour, les passants, les citoyens, s’en foutent aussi largement… Comme si le SIDA ne les concernait pas. Pas encore ! Nous assistons à fleur de peau à l’éradication par le pouvoir de ce qu’il restait d’idéaux « Peace and Love ». Les derniers enfants de Woodstock, ceux qui avaient cru jusqu’au bout à l’amour et à la liberté se sont pris l’épidémie de SIDA dans la gueule et, dans une sorte de miroir placé là pour nous, le film jette tout pareil la maladie à la figure des spectateurs d’aujourd’hui de façon systématique. C’est peut-être là sa plus grande réussite, même si une mise en scène parfois vaseuse nous fait par moment perdre le fil rouge.
120 btm nous place au plus près des corps, dans une chorégraphie chair à chair envoûtante et morbide. Que l’on soit dans une réunion Act Up, un lobby ou un lit, le grain des peaux est là, palpitant sous nos yeux. Les scènes de sexe, relativement nombreuses et longues, sont particulièrement bienvenues en ce qu’elles contribuent à la levée d’un tabou encore trop fréquent dans le cinéma de grande audience : l’érotisme gay. Les scènes sont belles, fortes, lentes. Bien sûr, elles sembleront choquantes à certains, mais le choc est souvent salutaire (si vous allez voir le film avec des jeunes de moins de 16 ans, tâchez tout de même de les prévenir de ce qu’ils vont voir, sauf s’ils sont au clair avec le sexe entre hommes…).
Il y a une sorte d’optimisme désespéré dans cette histoire : malgré les douleurs, les différents entre sœurs et frères de combat, la déchéance physique et la mort, tous les personnages restent debout, ils combattent, ils rient, ils dansent. La danse est pour eux l’occasion de revivre, de redevenir eux-mêmes après chaque décès.
Spoiler alert. 120 btm use abondamment des ressorts du mélodrame. Sean est un jeune homme brillant sans être pédant, fin et simple à la fois, une sorte de fée folle, toute à l’amour, à la danse, à la justice et à la beauté. Et le destin de Sean est meurtrier. Alors, forcément, on danse, on rit, on aime… et on pleure. Mais ce destin nous est servi dans une sauce si lente que l’émotion s’érode et qu’à la fin c’est presque avec soulagement que l’on assiste à la veillée funèbre de Sean. Et c’est là le principal défaut du film à nos yeux. La lenteur. Il dure 2h20. Il n’en finit pas de se mettre en place, le climax est pataud, la chute si ralentie que son impact est plus qu’amorti. Les débats d’Act Up pataugent, on en perd plus d’une fois la ligne et le sens. Sans doute une part de cette lenteur est-elle métaphorique, elle dit l’agonie de Sean (discrète puis de plus en plus présente) et l’impuissance d’Act Up, mais, décidément, trop c’est trop, et, sous cette forme, 120 btm est presque insupportable.
120 battements par minutes est donc un film nécessaire mais très mal nommé (mon pouls après de très longues minutes était plus proche de 55 que de 120). C'est un film poétique par certains de ses symboles, mais cru, dans tous les sens du terme. Il demande donc un temps de ”digestion” (l'absence totale de musique pendant le générique est même plutôt indigeste). Je le conseillerais plutôt aux jeunes générations, qui pourront aisément mater Facebook et entretenir 2 ou 3 conservations Messenger tout en suivant le film sans perdre le fil. Mais peut-être est-ce nous qui, habitués au format “série”, devenons trop impatients?
So, Al & Xa