Pour en finir avec la charge mentale!
La charge mentale, suite… et SURTOUT, FIN !
-Pour toi qui pensais déjà à ta décharge (mentale)-
On t’a déjà expliqué ce qu’est la charge mentale. On t’a donné des pistes pour atténuer sa morsure. On arrive au bout du chemin.
Si tu veux alléger ta vie, lâcher du lest, te soulager d’une part de la charge mentale sur ton conjoint, ses parents, leurs voisins ou leurs animaux de compagnie, faudrait peut-être que tu vois bien en face ses ruses ultimes, que tu comprennes comment la société te l’incruste, te la tatoue à vie… Voici le mode d’emploi.
Le 14 septembre, Marie-Claire publie (enfin, mais mieux vaut tard que jamais) un article sur la charge mentale, après l’ensemble de la presse francophone. La revue présente la BD d’Emma, explique en quelques lignes de quoi il s’agit pour les oublieux ou les distraits, prétend proposer des solutions si vagues qu’elles ne méritent guère ce nom (genre, « Arrêtez les reproches blablabla »), puis, à la fin, tout en bas, on trouve ceci : « Si le sujet vous intéresse, allez jeter un œil à : « Test psycho : êtes-vous hyper émotive ou control freak? », « Recettes: 5 collations healthy (ou non) à emporter à l’école ou au bureau », « 5 antiblues pour contrer le spleen de la rentrée »… (oui, donc mieux vaut pas tard, mieux aurait valu jamais) !
Waouh. J’en suis resté sans voix…
En gros, ce que l’on (sous-)entend ici c’est que, si tu te sens mal avec la charge mentale, d’abord, c’est TA faute. Arrête de râler, laisse pisser, TOUT VA BIEN (allez, répète après moi). Après, si malgré tout tu te sens stressée, ben tu ferais bien de te poser des questions (« êtes-vous hyper émotive ? »), de manger un truc (« 5 collations ») ou de prendre un remède (« 5 antiblues »). En d’autres mots, c’est de TA faute. Tu es COUPABLE (tadaam, mot magique… après, on te culpabilisera de te sentir coupable, mais ça c’est pour plus tard). Et il suffirait que tu te ressaisisses, que tu ailles puiser dans l’intarissable réserve de trucs tous simples mais que t’es trop c** pour y penser (sucreries apaisantes –mais pas trop parce que si tu grossis c’est mal-, organisation zen etc.) et dont on nous vante tant les mérites, pour créer un coussin salutaire entre ta souffrance quotidienne et la conscience que tu en as. Coooool sister, le problème, il est dans ta tête ! Haaa je ris (ou pas) …
Une autre caractéristique de l’article de Marie-Claire est ce ton paternaliste absolument détestable que l’on trouve partout dans la presse dite féminine (presse féminine qui est détenue en fait par des hommes dans la plupart des cas, ce qui explique pas mal de choses) … Alors, on nous dit que nous stressons trop. Que tout ça n’en vaut sans doute pas la peine, que nous ferions bien de nous calmer (« Ecoute ce que la madame te dit, parce que toi, t’es pas hyper fute-fute sur le coup »).
Les arguments ressemblent à ceux des hommes (ou des femmes sans charge mentale) dont nous partageons le quotidien : « Allez, laisse, tu en as fait assez pour le week-end, viens te reposer » disent-ils le dimanche soir lorsque nous baillons pour la troisième fois en remontant une manne de linge à repasser de la cave. « On le fera plus tard ! » ajoutent-ils plein d’une bonne volonté plus ou moins feinte (J’adooore le « on » ! Hahahaha). Sauf que le lundi matin, le même vous dira un brin revêche : « tu n’as pas repassé ma chemise bleue ?
Et le problème est bien là. Nous ne stressons pas pour RIEN. Ce maudit travail quotidien et sans cesse à recommencer DOIT être fait ! Et il ne se fera pas par magie. Il faut donc que l’un ou l’autre des habitants de la maison s’en occupe. Et il semblerait juste et simplement humain que ce ne soit pas toujours la même : la femme !
La presse féminine n’invente pas. Inciter à penser que les travaux domestiques reviennent naturellement aux femmes et les pousser à culpabiliser, c’est à peu près ce que nous faisons tous : depuis le début de notre histoire personnelle avec la charge mentale, nous la minimisons, nous la nourrissons sans vraiment nous en apercevoir officiellement, ou en trouvant ça naturel. Et nous culpabilisons très largement (on le fait bien ça, faut dire).
En effet, nous la supportons plutôt bien et depuis longtemps, cette teigne ! D’ailleurs, nous l’emportons partout avec nous, au creux de nos pensées les plus intimes, dans la tignasse de nos jours. Comment est-ce possible me diras-tu ? Sommes-nous folles/fous ? Sommes-nous si soumis.es ? Ou bien serait-ce une accusation félonne ?
Non, bien sûr (enfin, pour ce qui concerne la folie et la félonie. Pour la soumission, je t’invite à t’interroger). Mais l’exploitation domestique presque universellement subie et la charge mentale qui l’accompagne fonctionnent de manière sournoise en nous.
D’abord, il s’y mêle de l’amour, de la jouissance, des plaisirs (et beaucoup d’envie de faire plaisir, de choyer), une floppée de bons souvenirs, des fous rires et un joli mariage/maison/enfant/chien/vie idéale que j’aime. Alors, du coup, le fait de construire une liste de courses tout en répondant à un client au téléphone semble moins grave, les corvées incessantes plus légères, la vaisselle un détail. Et puis, nous ne voyons pas toute l’étendue de notre charge. Par exemple, nous n’avons pas vraiment l’habitude d’appeler « travail » le soutien psychologique de notre conjoint (et des enfants) qui, pourtant, nous prend une énergie et un temps de cerveau parfois considérables.
Et une bonne part de la manipulation se cache là. Ce que l’on n’appelle pas « travail » n’en est pas un, en tout cas nous ne lui accordons pas ce statut. Les femmes à travers les époques se sont toujours vu dénier le droit d’appeler leurs activités « travail ».
Fais bien attention à ce qui suit : Fais pas Genre va t’emmener au-delà des accommodements avec la vie quotidienne, au-dessus du soulagement temporaire et des négociations pénibles. Ce que tu vas lire, c’est la recette du changement ultime : l’émancipation réelle des femmes ! Prêt.e ?
Il a fallu attendre les années 1960 pour que des groupes de sociologues françaises commencent à changer de paradigme en passant de l’expression « tâches ménagères » à « travail domestique ». Ce changement a enfin permis de modifier le point de vue de la sociologie sur le travail des femmes. Jusque-là, on ne voyait son pan domestique que sous l’angle du pseudo « naturel » en suivant l’idée que les femmes, contrairement aux hommes, ne construisent pas leurs compétences, mais qu’elles disposeraient d’un fond de « dons naturels » (dextérité, douceur, patience, empathie… mais aussi repassage, cuisine, ménage,…) bien commode pour les payer moins que les hommes (voire ne pas les payer du tout dans le cadre du travail domestique et de bon nombre d’activités « bénévoles » pourtant bien nécessaires à la société) et les cantonner dans des rôles à vocation sociale ou de service.
Or, le travail est le lieu par lequel passe l’essentiel de la domination masculine. Il va déterminer ton identité, y compris ton identité sexuelle. Une des premières choses dont tu parles lorsque tu te présentes, c’est de ton travail. Cela va déterminer ton statut social (oui, c’est moche, mais c’est comme ça). D’ailleurs, il suffit de voir comment l’on traite les technicien.nes de surface pour deviner que le travail domestique ne permet d’asseoir aucune forme de domination ou de contre-domination de la femme sur l’homme. Et donc, l’Homme en tant qu’être humain muni d’un zob aura le dessus, encore.
D’abord, parce que c’est l’excuse par excellence utilisée pour ne pas prendre en charge le pan domestique (je travaille temps plein MOI, et mon job est important MOI, je suis fatigué !). L’autre a un boulot IMPORTANT, donc, n’en touche pas une à la maison. Tu prends donc un temps partiel pour tout boucler. Ce qui fait que ton travail semble moins important encore (et puis tu gagnes encore moins). Te voilà donc obligée, si tu veux prouver ton utilité, d’en faire bien plus à la maison. Tu captes le piège là ?
Ensuite, de nombreuses études ont montré que dans la plupart des métiers à prestige (par exemple chirurgien, ingénieur ou chercheur), il existe une véritable suprématie du masculin en termes de qualification, de salaire et de carrière, mais aussi en termes de pouvoir d’action, de marge de manœuvre (on va moins surveiller le taf du gars, on va écouter ses idées).
Et ne me sors pas la vieille excuse des enfants pour justifier ce manque d’ambition et de confiance accordés aux femmes dans leur vie professionnelle (y compris par elles-mêmes d’ailleurs) ! Une étude parue dans la Harvard Business Review montre que plus encore qu'avoir des enfants, le facteur déterminant pour la réussite professionnelle de la femme est de savoir si elle vit dans un couple où la carrière du mari passe systématiquement avant la sienne ou pas… et comme 70% des hommes s'attendent à ce que leur carrière soit prioritaire sur celle de leur femme, on te laisse faire le calcul.
C’est d’ailleurs pour cette raison que l’émancipation réelle des femmes devra passer conjointement par le partage équitable du travail domestique (soin et éducation des enfants compris), mais également par leur entrée dans « l’industrie publique », le beau et grand monde du travail. Certes, les femmes s’y retrouvent doublement dominées, tant dans leurs rapports de classes (travail moins bien payé) que dans leurs rapports de sexe. Il s’agit dès lors pour elles de se réapproprier les rapports sociaux de manière collective, de prendre conscience de manière collective des situations sociales injustes qu’elles subissent. Que nous sortions enfin de la seule conscience individuelle pour voir l’insulte commune.
C’est ensuite dans l’action et la lutte collective autour du travail que nous pourrons conquérir l’émancipation, en trustant les postes à responsabilité ou qui facilitent la communication avec les enfants et les jeunes (sœurs enseignantes et éducatrices, vous occupez une place de choix) et en changeant la société et les mentalités.
En d’autres mots, on doit s’UNIR, s’entraider (présentement, les études tendent à montrer que les rares femmes arrivées à une place hiérarchique enviable font plutôt l’inverse – « j’en ai bavé, y’a pas de raison que je sois la seule ! »). Pour ce faire, nous devons toutes prendre conscience que ce que nous vivons n’a rien d’individuel ou de fortuit. Que tout nous est imposé dès le plus jeune âge (toi aussi tu l’as eu le jouet « kit de nettoyage » ?). En le comprenant et en brisant leur relation toxique au travail, les femmes empêcheront le patriarcat de respirer, elles le prendront à la gorge, le forceront à capituler…
Dès lors, elles feront du monde un endroit plus respirable pour tous, y compris les hommes.
Al & Xa
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