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T'as fait ta charge (mentale)?


Il y a quelques mois, Emma faisait le buzz avec sa très chouette bd. Si tu as vécu dans une grotte sans connexion ces dernières semaines et que tu ne l’as pas lue, on te remet le lien :

Et là, d’un coup d’un seul, le monde, la planète, l’univers, découvrait le concept de charge mentale. Oh my god ! Le scoop !

Pour faire simple, la charge mentale, c’est l’organisation et la coordination des « dossiers » composant la vie quotidienne, Des exemples concrets ? Qui décide quand il faut changer les draps ? Qui pense au cadeau pour l’anniversaire de Bertrand ? Qui sonne au pédiatre pour le petit dernier ? Qui fait la valise pour les classes vertes de la grande ?

Quand on est seul, on gère seul. TOUT. Et c’est lourd. On doit penser à tout, tout seul.

Alors, quand on est deux, on est tout content (au début) : l’autre va gérer avec nous ! Cool. Sauf que pas toujours. Souvent, la femme va gérer un peu/beaucoup/passionnément plus. Bon, elle est amoureuse (si tout va bien), donc ça lui fait plaisir de prendre soin de son loulou d’amoooouuur. Puis si elle le faisait pour elle seule avant, c’est pas la fin du monde de le faire pour deux.

Puis, parfois, on a des enfants (ça arrive). Et là, ça se corse. Parce qu’à partir de ce moment, les « dossiers » se multiplient. Et heureusement, les papas sont là (si tout va bien) ! Ils veulent bien faire. Ils ne demandent que ça. Sauf qu’ils sont au taf (pour rappel, le congé paternité c’est 10 jours). Alors que la maman, elle, elle est là. Alors, naturellement, elle fait, elle prend en charge les dossiers en cours. Et BAM, ça devient SES dossiers. Et quand elle recommence à travailler, l’habitude est prise, alors elle continue à gérer cette logistique. Elle peut parfois se faire aider, déléguer (aide-ménagère ou autre) mais c’est elle qui reste la logistic manager, elle sait ce qu’il faut faire et quand.

La charge mentale est donc une sorte de tâche de fond qui tournerait en continu sur ton PC, accaparant une partie importante de la mémoire, mais de façon totalement invisible. On ne remarque que c’est fait que si ça ne l’est pas.

« Tu sais, chaque jour, quand tu reviens du travail, tu me demandes ce que j’ai fait. Ben aujourd’hui, je n’ai rien fait. »

Et on en arrive alors à des situations de burn out maternel ou, plus simplement, de femmes harassées courant de tâches en tâches sans vraiment s’arrêter.

Alors là, tu te dis qu’on faisait moins d’histoires avant, que pourquoi, subitement, les femmes se la ramènent avec ça alors que leurs mères (et même parfois leurs grands-mères) le faisaient finger in the nose. Ben en fait non, c’est pas nouveau. En 1984, Monique Haicault publiait un article intitulé La gestion ordinaire de la vie en deux. Ce texte commence par ces mots :

« La vie en deux, s'agit-il vraiment d'une vie coupée en deux pour les femmes mariées qui ont une activité professionnelle ? Peut-on parler d'une double journée de travail, d'un travail qui se multiplierait par deux ? Les femmes des sociétés industrielles doublent-elles leur temps de travail, leurs lieux de vie ? Est-ce plutôt, elles-mêmes, corps et âmes qui se dédoublent en des lieux et temps différents, est-ce encore une double, une surexploitation ou une exploitation spécifique qu'elles subissent ? »

Pour répondre à ces questions, Monique H va interroger de manière systématique des ouvrières, sur leur ressenti, leur vie, leurs impressions. Assez vite, elle va mettre en évidence la charge mentale. Elle va montrer que ces travailleuses ne doublent pas leur temps de travail… Non, en réalité, c’est pire que ça : la charge mentale remplit tout leur temps, tout leur espace, les mange littéralement.

C’était il y a 33 ans. Depuis, les recherches féministes portant sur la notion de double travail et sur la charge mentale qui en résulte (fatalement, l’un ne va pas vraiment sans l’autre) ont été largement occultées. Il a fallu attendre la BD d’Emma pour que la presse, enfin (33 ans, c’est tout de même plus qu’une génération !), s’en fasse l’écho. Et encore, comme nous le verrons dans un prochain article, elle n’en parle que pour la détourner et en faire une nouvelle arme de culpabilisation contre les femmes, au moins partiellement (Big up la presse féminine, encore, wesh).

Cette situation, tu t’en doutes, est venu titiller nos deux cerveaux curieux. Pourquoi tant d’efforts pour dissimuler l’existence-même de la charge mentale ? Il devait y avoir une question de vie ou de mort là derrière… Et, bien vite, nous l’avons compris : oui, il y va de la survie, non pas d’un groupe de personnes, mais du patriarcat tout entier et donc du capitalisme ! Ni plus. Ni moins.

Bon, on explique.

Si tu observes les sociétés occidentales (et quelques autres aussi), tu constateras assez vite qu’elles sont tout entières tournée vers un impératif de production. Cette production implique un travail. Pour tout ce qui concerne la production de biens et de services au public, le capitalisme oblige les humains au travail productif (on n’a pas dit « rempli de sens et enrichissant, t’as vu ?). Pour obtenir ce résultat, le capitalisme va mettre en place de multiples moyens de manipulation, de telle sorte que les travailleurs (au sens large) acceptent non seulement de travailler, mais d’être spoliés d’une part très importante des revenus de leur travail au profit des patrons, des banques, des riches et de l’Etat (cnf la belle enveloppe brune que tu remplis chaque année mais aussi les taxes diverses et variées sur TOUT, même les produits de première nécessité)…

Pour tout ce qui concerne la famille, la maison, là, le but, c’est la fourniture de services domestiques gratuits. Ben oui, on va quand même pas commencer à mettre les précieux sous publics dans des crèches (genre si vous voulez une place, battez-vous), des services de biens aux personnes qui seraient gratuits ou proposés à des prix démocratiques (aide aux corvées, facilitation des repas, etc.). Non non, il faut que cela reste fourni gracieusement par le-la travailleur-se.

Et comme, avant, c’étaient les femmes qui le faisaient, pourquoi changer une équipe qui gagne Surtout que les tenant du système étant en écrasante majorité des hommes, ils ont pas trop envie de modifier trop le truc tu vois. Tu le sens venir l’entubage là ?

Ca veut dire que le patriarcat est le système de subordination des femmes aux hommes dans nos sociétés. Il est largement synonyme de la domination masculine et de l’oppression des femmes.

Et parler de cette oppression, ce serait permettre aux femmes (et à certains hommes) de se poser des questions et, peut-être éventuellement, de sortir des processus de domination et de manipulation du patriarcat ET du capitalisme.

Et c’est pas fini. Tu vas rire (ou pas).

Le femme peut travailler (merci merci, vraiment !), mais on SAIT qu’elle gère le foyer, les enfants, la logistique. On SAIT qu’elle devra partir plus tôt (la fainéante !) pour gérer tout ça. Dons, on va lui refuser un bon salaire, une promotion, un poste important, …

Sur le plan individuel, son travail restant « moins important » que celui de son compagnon justifie qu’elle investisse plus d’énergie dans la logistique du ménage (au sens large). Et tout ça, ça arrange bien les capitalistes qui peuvent ainsi compter sur une main-d’œuvre stable, bien formée et bien payée, les hommes et sur une main-d’œuvre à temps partiel, fragmenté, jetable, qu’on peut faire chanter aisément : les femmes.

Sur le plan sociétal, ces injustices criantes permettent la concentration quasi absolue des richesses entre des mains masculines, alors que les femmes constituent 52% de l’humanité et qu’elles fournissent la plus grosse part des heures de travail !Dans ce système, le surplus de travail des femmes est la condition ultime qui offre aux hommes l’accès à un surplus, surplus de temps libre et surplus de ressources.

Voilà, la boucle est bouclée ! T’as pas eu trop mal ? Si ? Ah.

Alors on est d’accord ? L’exploitation du travail des autres, sous forme de servage, d’esclavage ou de contrainte domestique, sous le prétexte de l’origine sociale, de la couleur ou du sexe, bien emballée dans un discours mignon qui tourne autour de la volonté de Dieu ou du prince, de la supériorité raciale, de la grandeur de la civilisation, de la « nature féminine » ou de l’amoooouuur, cette exploitation est scandaleuse et inadmissible : nous devons la combattre sous toutes ses formes, partout et toujours ! T’es prêt ? Tu fais ça avec nous ? On cherche des soluces et on revient !

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